Les Limites de l’Artisanat Vertueux et Local: Attention au Greenwashing

Dans le monde de la mode, le greenwashing est devenu courant. Comme la fast fashion est souvent pointée du doigt pour son impact environnemental dévastateur, le mouvement vers une consommation responsable et l'artisanat vertueux prend de l'ampleur. Cependant, produire de manière écologique tout en évitant le greenwashing reste un défi de taille, en particulier pour les petites entreprises artisanales qui aspirent à être écologiquement responsables. Il est essentiel de ne pas ignorer les défis auxquels font face les petites entreprises de couture et les artisans. Cet article explore « les limites de l’artisanat vertueux » en examinant les dilemmes auxquels font face les créateurs engagés, confrontés à des contraintes structurelles inévitables.

Comprendre le Greenwashing

Le greenwashing est une pratique marketing trompeuse où une entreprise ou une marque se présente comme plus écologique qu'elle ne l'est réellement. Ce terme, mélange des mots "green" (vert) et "whitewashing" (blanchiment), évoque l'idée de masquer des pratiques non durables sous une façade verte. Les entreprises qui s'engagent dans le greenwashing peuvent exagérer ou carrément falsifier leurs efforts environnementaux pour séduire les consommateurs soucieux de l'écologie. Cela peut inclure des allégations mensongères sur les matériaux utilisés, des publicités qui embellissent l'impact environnemental des produits, ou l'accent mis sur quelques initiatives mineures pour détourner l'attention des pratiques globales plus nuisibles. Le greenwashing pose un problème éthique majeur car il induit en erreur les consommateurs et peut freiner les véritables progrès vers une industrie plus durable. Les consommateurs avertis sont encouragés à rechercher des preuves tangibles et des certifications reconnues pour évaluer l'authenticité des revendications écologiques d'une marque.

Sauf erreur de ma part, afin de ne pas tomber dans le greenwashing et parce que suis consciente de certaines limites de l'artisanat local qui souhaiterait être respectueux de l'environnement, j’ai banni les expressions du type "durable", "vert", "naturel", "responsable", "éco-conçu", "respectueuse de l’environnement", etc... du site internet.

Dilemme Entre Créativité et Matières Premières Disponibles

Comment soutenir la créativité tout en respectant les exigences écologiques, lorsque les matières premières disponibles sont souvent peu respectueuses de l'environnement ?

L’une des décisions les plus difficiles que j’ai eu à prendre concernant la marque “Griffe Du Carbet” a été d’arbitrer entre créativité/originalité de la marque et matières premières de qualité.

Pour un effet waouh, je ne voulais pas faire l’impasse sur le wax pour les vêtements que je propose car il apporte une énorme touche d’originalité et permet des vêtements uniques. Or le wax de qualité est forcément en coton et même si c’est une fibre naturelle, c’est tout de même une fibre dont la culture consomme énormément d'eau. De plus le wax est un tissu teint et enduit de cire pour la teinture, ce qui nécessite beaucoup de lavage et donc d’eau. Je ne peux pas garantir que le wax que je commande pour les créations, même issu de la marque de wax la plus luxueuse au monde, est écologiquement responsable: les marques Vlisco et Uniwax ne communiquent pas sur l’origine et la qualité du coton utilisé pour leur wax.

Concernant la mercerie, je me suis résignée à utiliser du fil en polyester, pourtant synthétique et non biodégradable, car plus résistant que le fil est coton qui casse facilement (pas idéal pour la couture d’entrejambe d’un pantalon). Pour renforcer les cols, les manches si besoin et les ceintures, je dois passer par la case entoilage qui est en matière synthétique, de même que l’élastique du pantalon. Un autre aspect souvent négligé est celui des étiquettes de composition. Légalement, chaque vêtement doit être accompagné d'une étiquette indiquant sa composition. Cependant, le marché ne propose que peu d'alternatives écologiques: les étiquettes en coton sont rares car la majorité sont fabriquées à partir de matériaux synthétiques. J’ai fait le compromis d’étiquettes tristounes sans couleurs pour privilégier le coton. En revanche pour être transparente l’étiquette retrace la composition de tous les matériaux utilisés pour la fabrication des tenues donc le tissu principal et le biais (100% coton) mais aussi la composition de l’élastique, de l’entoilage et du fil.

Dilemme de l’Éloignement des fournisseurs et clients

Comment les artisans peuvent-ils maintenir un fonctionnement écologique lorsque leur emplacement géographique impose des contraintes logistiques importantes ?

Les artisans situés dans des zones éloignées ou mal desservies, comme la Guyane, rencontrent des difficultés supplémentaires. L'approvisionnement en matières premières de qualité nécessite souvent des livraisons aériennes augmentant ainsi l'empreinte carbone. Par exemple je n’ai pas été convaincue par la qualité du wax en vente dans les boutiques de tissu locales: il est produit en Chine, il est rigide et perd énormément de couleurs aux premiers lavages. Je me suis donc tournée vers le wax hollandais, produit aux Pays-Bas et donc livré à l’atelier par avion/coursier.

La Guyane est grande par son territoire mais petite par la taille de la zone d’achalandage. La vie y est chère et la majorité des habitants se consacre aux besoins essentiels, avec raison. C’est pourquoi j’ai ouvert la boutique a une clientèle plus large que la Guyane: en France métropolitaine et aux Antilles. En revanche cela implique des livraisons dans ces régions par avion (sinon compter 5 semaines en bateau).

La Guyane oblige à des échanges permanents avec l’hexagone ou l’UE, ce qui est contraire aux principes d'une production locale et durable. Pour réduire cet impact, je fais une commande de tissu que je propose à la personnalisation. De cette manière, les tenues sont créées à la commande: pas de collections, pas de stocks de vêtements dont personne ne voudrait. Je propose aussi des vêtements en tissus up-cylés.

Dilemme du Marketing et de la Visibilité

Peut-on réellement promouvoir une entreprise artisanale de manière écologique dans un monde numérique énergivore ?

Les petites entreprises doivent souvent passer par les réseaux sociaux pour gagner en visibilité. Pourtant, l'utilisation des réseaux sociaux pour le marketing a des répercussions environnementales souvent méconnues. Ces plateformes numériques, bien qu'intangibles, reposent sur une infrastructure physique massive comprenant des centres de données, des serveurs, et une consommation d'énergie considérable. Voici quelques points clés à considérer :

• Consommation Énergétique : Les réseaux sociaux nécessitent d'énormes quantités d'énergie pour fonctionner. Les centres de données, qui stockent et gèrent les immenses volumes de données générées par ces plateformes, sont de grands consommateurs d'électricité.

• Empreinte Carbone : Chaque interaction sur les réseaux sociaux, qu'il s'agisse de publications, de partages, ou de visionnages de vidéos, augmente la demande en bande passante et en stockage, ce qui accroît l'empreinte carbone de ces activités numériques.

• Production de Matériel : La fabrication des appareils nécessaires pour accéder aux réseaux sociaux, tels que les smartphones, tablettes et ordinateurs, engendre également une empreinte écologique. Cela inclut l'extraction de matériaux rares, la consommation d'eau, et la production de déchets électroniques.

• Refroidissement des Centres de Données : Pour maintenir les serveurs à des températures de fonctionnement optimales, des systèmes de refroidissement intensifs sont utilisés, ce qui augmente encore la consommation d'énergie.

  
  

Ce dilemme souligne la contradiction entre l'aspiration à rester écoresponsable et la nécessité de se faire connaître dans un marché compétitif. De mon côté n’ayant pas de prêt-à-porter à proposer, il n’est pas idéal de faire les marchés ou d’ouvrir une boutique physique. J’ai donc choisi de faire de la vente par le biais d’une boutique en ligne. Et hormis distribuer des cartes de visite, je n’ai trouvé que le marketing en ligne via les réseaux sociaux comme moyen de faire connaître ma marque ailleurs qu’en Guyane. En revanche comme je ne prends pas plaisir à créer du contenu, le nombre de publications sera limité.

Dilemme de Créer Une Nouvelle Marque

Dans un monde déjà saturé de produits, est-il justifiable de lancer une nouvelle ligne de vêtements, même artisanale ? 

L'une des principales motivations pour lancer une nouvelle marque de vêtements est de combler une niche qui n'existait pas auparavant. Chaque consommateur a des besoins et des préférences uniques qui ne sont pas toujours satisfaits par les grandes marques. En identifiant une lacune sur le marché et en y répondant avec des produits spécialisés, une nouvelle marque peut se démarquer et attirer une clientèle fidèle qui se sent enfin représentée et comprise.

J’ai entre autre créer “Griffe Du Carbet” dans le but d’introduire de la couleur dans ce monde de la mode que j’estime trop souvent dominé par des couleurs neutres, le noir et le blanc. C’était l'opportunité de présenter un univers coloré et vibrant qui peut captiver et inspirer les consommateurs. En utilisant des couleurs audacieuses et des motifs distinctifs, je peux non seulement me différencier, mais aussi influencer les tendances et encourager une expression personnelle plus dynamique à travers la mode.

Avec la montée de la conscience environnementale et éthique parmi les consommateurs, il y a un espoir croissant que la fast fashion cède la place à des pratiques plus durables. En se positionnant dès maintenant sur le marché avec des valeurs éco-responsables et une production éthique, une nouvelle marque peut être en avance sur cette transition. Cela permet de construire une base solide et de fidéliser une clientèle en quête de produits qui respectent leurs valeurs, tout en étant à la pointe de la mode durable.

La surproduction textile est un problème majeur. Chaque nouvelle marque ou collection contribue à cette accumulation, même lorsque l'intention est de proposer une alternative plus durable. Ce dilemme m’a poussé à reconsidérer mon rôle dans ce cycle de production et à me questionner sur la nécessité d’une collection. C’est pour cela que j’ai décidé de me concentrer sur la production à la commande avec personnalisation de la tenue (choix du tissu, choix du style de veste et de pantalon, mise à la stature de la personne) et le recyclage de textiles existants, minimisant ainsi mon impact.

Dilemme de l'Essor d'une Marque de Vêtements

La limite principale de l'artisanat serait-il celui de rester une toute petite structure?

L'essor d'une marque de vêtements représente à la fois une opportunité et un défi, surtout dans le contexte actuel où le respect de l'environnement est devenu une priorité incontournable.

D'une part, l'expansion d'une marque permet de toucher un public plus large, de créer des emplois et de contribuer à l'économie. Cependant, cette croissance peut également entraîner une augmentation de la production, de la consommation de ressources et des déchets, exacerbant ainsi l'impact environnemental. Les marques doivent alors naviguer dans ce dilemme en adoptant des pratiques durables, telles que l'utilisation de matériaux écologiques, la mise en place de chaînes d'approvisionnement responsables et la promotion de la mode circulaire. L'équilibre entre croissance économique et préservation de l'environnement exige une innovation constante et un engagement sincère envers des pratiques éthiques, afin de répondre aux attentes des consommateurs tout en minimisant l'empreinte écologique.

Pour l’instant... je n’en suis pas encore là. Déjà que j’ai l’espoir de toucher une clientèle en France métropolitaine depuis mon petit atelier de Guyane ;)

Les artisans engagés dans une démarche écologique se heurtent à des obstacles variés, allant des matières premières aux contraintes géographiques et marketing. Comment, dès lors, concilier créativité et écologie sans tomber dans le piège du greenwashing ? Cette question invite à une réflexion profonde sur l'équilibre entre innovation responsable et respect des limites environnementales. Dans quelle mesure peut-on transformer ces défis en opportunités pour réinventer l'artisanat de demain ? Ce sont ces interrogations qui continueront d'animer le débat autour de la mode durable et de l'artisanat vertueux.